La question de l’euthanasie est une question éminemment subjective. En lisant cette première ligne, ces premiers mots en fait, vous avez déjà sans nul doute, (oui je parle bien de vous, cher Lecteur avec votre air concentré et votre souris dans la main) formulé en votre for intérieur votre avis sur la question.
J’ai moi-même un avis sur cette question. Mais d’où provient mon avis et qu’est ce qui a déterminé votre position ? Et surtout qu’est ce qui vous a conduit à adopter une opinion différente de la mienne alors que je suis si brillant et sans failles ?
Nos influences, nos valeurs, cher Lecteur, les miennes comme les vôtres proviennent de facteurs divers et variés, ma morale, vos croyances, mon éducation, votre milieu, mon vécu, mais aussi des médias : Laurence Ferrari, ou Jules Edouard Moustic, Jean Marie Bigard ou Bernard Henry Levy…
Mener une réflexion sur l’euthanasie qui soit non biaisée, sereine, dépassionnée, objective en d’autres mots… la tête froide mais sans vous faire… mourir d’ennui est le défi que j’ai décidé de relever parce que je trouve que le sujet est… mortel !
Une fois réglée la question des jeux de mots lourdingues, A titre préliminaire, en bons juristes, attachons nous à définir les termes du sujet. Vous n’ignorez pas cher Lecteur, qu’en dépit de mon prénom originaire de la Rome antique (ou de Matrix selon vos influences…) je parle et j’écris également le grec ancien…
Le mot euthanasie procède de ευθανασία (prononcer euthanos)- ευ, bonne, θανατος, mort, et signifie bonne mort (1).
I. La problématique de l’euthanasie.
A. Une problématique post moderne.
La première réflexion que vous me permettrez de faire, cher Lecteur, afin de poser le débat c’est que la question de l’euthanasie ne se pose que dans les sociétés dites, à tort ou à raison, modernes voir post-modernes (2) qui ont cette caractéristique commune, que les influences judéo-chrétiennes y sont remises en question.
En effet, dans les sociétés théocratiques, ou à forte imprégnation religieuse, la question de l’euthanasie se règle d’elle-même. Cette question me semble donc devoir être rapprochée de problématiques comme celles de la contraception, de l’Interruption Volontaire de Grossesse, du clonage ou de l’eugénisme (3).
Pourquoi, cette analogie Cher Lecteur ? Car elles questionnent toutes les limites du droit à la Vie, me répondrez-vous ? Brillant comme d’habitude, je vous reconnais bien là…, le CRFPA c’est dans la poche…
Mais permettez moi d’ajouter qu’elles ont ce trait commun qu’elles trouvaient hier dans la morale religieuse une réponse évidente et qu’elles trouvent aujourd’hui dans le droit positif une réponse pourtant diamétralement opposée.
B. Une problématique positiviste.
Le Législateur s’attache dans nos sociétés à s’affranchir de l’influence de normes subjectives (morales, croyances…) et établit ce qui sera le Droit positif en fonction de sa propre échelle de valeurs, échelle de valeurs qui se veut autonome : c’est la théorie du positivisme.
Cela explique que dans des pays qui partagent une culture commune, la question de l’euthanasie est traitée de façon parfaitement différente. C’est ainsi qu’elle est parfaitement légale en Belgique, Suisse, Pays Bas, Espagne, mais interdite en Italie, Suède, Grèce, et en Turquie (qui est comme on le sait un pays européen par excellence…).
Ma deuxième observation cher Lecteur, est que la détermination d’un système de valeurs objectives qu’opère le Législateur, un système qui serait affranchi des considérations morales et religieuses est une démarche qui menée au bout de sa logique conduit à faire trembler les piliers même du modèle social, ce que le Législateur ne souhaite pas toujours faire.
Notre Législateur se trouve alors pris à son propre piège.
- Tantôt il consent parfois à conserver sa logique positiviste, la mort dans l’âme, après de lourdes revendications populaires (IVG, Contraception…).
- Tantôt il apaise ces revendications en adoptant une posture intermédiaire (PACS, cellules souches, dans le sujet qui nous occupe aujourd’hui, l’euthanasie).
- Tantôt il rechigne à pousser la logique jusqu’au bout en refusant d’y faire droit (mariage gay).
Il semblerait qu’en dépit de ses aspirations à une autonomie pure et parfaite, le Législateur soit finalement imprégné de valeurs subjectives qui le déterminent, exactement comme nous autres… les simples mortels.
Comment expliquer autrement les disparités considérables dans le traitement de la question de l’euthanasie en Europe ?
II. L’euthanasie en France.
« Le droit de toute personne à la vie est protégée par la Loi ».
A lire l’article 2 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH), le rôle du Législateur ne fait aucun doute.
Il est le Gardien de la Vie mais pas de la Mort.
Doucement, doucement cher Lecteur, j’entends d’ici les protestations véhémentes de votre esprit aiguisé :
Mais est-ce le rôle du Législateur de protéger une personne à son corps défendant ?
Et bien, assez curieusement j’en conviens, il semblerait que oui.
Le droit positif en témoigne :
- La législation en matière de sécurité routière (le port de la ceinture est obligatoire et sanctionné comme
je peux le confirmer l’article R.412-1 du Code de la Route le confirme).
- Vous n’êtes pas non plus, Cher lecteur, libre de vendre sur Ebay votre
testicule, ovaire, rein (quand bien même vous en auriez un autre) pour payer votre prépa au CRFPA, car la vente d’organes est également prohibée, l’article 16-6 du Code civil le confirme.
L’euthanasie serait donc à classer au nombre des règles découlant du principe de l’indisponibilité du corps humain.
Mais, mon cher Morpheus, le suicide n’est pas réprimé par la Loi que je sache ?
Mais quelle sagacité, quelle vivacité d’esprit. Mais si vous me permettez toutefois teintée d’une légère précipitation, cher Lecteur, qui caractérise les jeunes esprits comme le vôtre.
Car il ne s’agit point de suicide en l’espèce, puisque la mort est certes souhaitée par le malade mais il ne se la donne pas lui-même ce qui, par hypothèse, exclut la qualification de suicide.
Dans cette occurrence la qualification pénale des faits… fait froid dans le dos. En toute rigueur, le malade devient la victime d’une infraction pénale : la provocation au suicide, la non assistance à personne en danger péril, l’homicide volontaire, le meurtre avec préméditation, (autant dire l’assassinat,), ou encore l’empoisonnement suivant le procédé employé, par l’auteur des faits, autant d’infractions assorties de lourdes peines, le plus souvent passibles de la Cour d’Assises.
Mais puisque la victime était consentante ?
Fort bien cher Lecteur, mais vous n’ignorez pas que le consentement ou même l’excuse de la victime n’est ni un fait justificatif, ni une cause d’irresponsabilité.
Par conséquent, le médecin, l’infirmière, la mère ou le mari du patient de la victime, s’en trouve l’auteur ou le complice de l’infraction. Il se retrouve dans le box des accusés, encourrant 30 ans de prison outre les sanctions disciplinaires auxquelles s’exposent les hommes de l’Art.
Mais ce consentement de la victime n’est pas sans incidence. Votre objection ne resterait donc pas lettre morte.
C’est une circonstance qui peut être prise en considération au moment de la décision de poursuivre les faits, décision qui comme vous le savez appartient au Procureur de la République en application du principe de l’opportunité des poursuites. Elle peut également entrer en ligne de compte au moment des réquisitions du Procureur de la République ou de l’Avocat Général ou encore au moment du prononcé de la peine par les Magistrats.
Cela a notamment été le cas dans l’affaire HUMBERT la plus médiatisée d’entre toutes, ou le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de non lieu, renonçant aux poursuites contre Madame HUMBERT, la mère du malade de la victime et de son médecin, bien qu’il s’agisse dans cette affaire d’euthanasie active (qui recevrait la qualification juridique de meurtre, là où l’euthanasie passive, consistant à interrompre les soins donnés au patient s’apparenterait davantage à l’infraction de non assistance à personne en péril).
Ce n’est pas pour autant, dans la voie du non droit que le Législateur français est engagé. Il a opté, comme souvent dans ce type de sujets éminemment sensibles, pour la voie médiane.
C’est ainsi que la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie autorise désormais le médecin à limiter ou arrêter un traitement concernant une personne «hors d’état d’exprimer sa volonté » alors même que « la limitation ou l’arrêt du traitement serait susceptible de mettre sa vie en danger » (C. santé publ., art. L. 1111-4 al.5) ou encore lorsque le malade est en « fin de vie et hors d’état d’exprimer sa volonté », « limiter ou arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n’ayant d’autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie » (C. santé publ., art. L. 1111-13).
Dans ces deux cas, cette possibilité est enfermée dans des conditions scrupuleuses et le médecin doit respecter une procédure collégiale.
C’est ainsi que mon office prend fin. Je vous entends déjà cher Lecteur faire valoir que mon avis personnel sur la question…
Sachez que je l’emporterais avec moi dans la tombe. Je souhaite, toutefois que ce billet vous permette de vous apercevoir que l’euthanasie au Grand Oral, c’est quand même pas la mort…
Votre bien dévoué.
Morpheus.